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la campagne, si l’un d’eux souffrait d’insomnie, il allait réveiller l’autre. Ils sortaient alors tous deux pour se promener dans la nuit et causer indéfiniment. Olivier pensa que ce serait le plus sûr moyen d’exorciser l’idée qui recommençait de le hanter et contre laquelle il éprouvait, sans lui-même comprendre pourquoi, un élancement de révolte, irraisonné, violent, presque sauvage. Oui, de causer avec Hautefeuille lui ferait du bien, bien qu’il ignorât comment, et ce qu’il lui dirait. La plus élémentaire délicatesse lui défendait toute phrase qui pût donner l’éveil à son ami, et cela, quelles que fussent les relations de cet ami avec Ely de Carlsberg. Mais les conversations intimes ont de tels hasards : peut-être une intonation, un regard, un geste serait-il l’indice passionnément désiré, après lequel il ne penserait même plus à la possibilité d’un sentiment de Pierre pour son ancienne maîtresse. Olivier était déjà couché au moment où cette idée le saisit. Automatiquement et sans réfléchir davantage, il se leva. Il descendit les escaliers de l’immense hôtel, maintenant silencieux et à demi éteints, jusqu’à la porte de la chambre d’Hautefeuille. Il frappa : aucune réponse. Il frappa encore : même silence. La clef était sur la serrure : il entra. À la lueur de la lune qui entrait à plein par là croisée ouverte, il aperçut le lit intact. Pierre était sorti… Pourquoi Olivier éprouva-t-il, à cette constatation, un sursaut soudain au cœur, suivi d’un inexprimable accès de mélancolie ? Il vint