Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/269

Cette page n’a pas encore été corrigée


— « Je ne l’ai pas aimée, » reprit Olivier. « Je n’ai pas cru l’aimer. J’ai espéré l’aimer. Je me suis dit qu’au contact de cette âme si différente, si neuve, et dans cette vie qui ressemblait si peu à ma vie passée, je sentirais ce que je n’avais jamais senti. Oui, une fois de plus, j’ai souhaité et j’ai essayé de sentir. » Il souligna ces mots avec une énergie singulière. « C’est le vrai mal de ce déclin du siècle et c’est le mien : cette recherche obstinée, acharnée de l’émotion… Je me suis dit, pour endormir ma conscience : « Si je n’épouse pas cette jeune fille, un autre l’épousera, un des ces innombrables drôles qui foisonnent sur le pavé Parisien, et qui n’en voudra qu’à sa dot. Je ne serai pas un mari pire… » Et puis, j’ai espéré des enfants, un fils… Aujourd’hui, cela même, je crois, ne me remuerait pas le cœur. L’expérience est faite. Ces six mois ont suffi. Ma femme ne m’aime pas, et je n’aime pas, je n’aimerai jamais ma femme, voilà le vrai bilan… Mais tu as raison : il reste l’honnête homme en moi, et qui tiendra sa parole de son mieux… » Il se passa la main sur les yeux et sur le front, comme pour chasser les affreuses idées qu’il venait d’évoquer avec une si brutale franchise, et, plus calme : « Je ne sais pas pourquoi je vais t’attrister de ma névrose dès la première heure où je te revois… Si, je le sais. La faute en est à cette forêt, à cette couleur du ciel, à ce souvenir d’il y a seize ans, précis jusqu’à l’obsession. C’est fini. Ne me réponds pas. Ne me console pas. La poche à fiel doit crever en