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pensées tristes ou gaies. En l’absence de sa femme, Olivier était visiblement plus à l’aise, mais il conservait dans ses prunelles ce fond de dégoût et autour de sa bouche ce pli d’amertume que son compagnon connaissait trop bien. Ces signes annonçaient toujours quelqu’une de ces crises d’âcreté lucide que Mme de Carlsberg avait racontées à Mme Brion. De tout temps, Pierre avait souffert de son ami lorsque ces crises revenaient et que l’autre se prenait à parler sur lui-même ou sur la vie avec un ton cruel de cynisme désenchanté. Il allait en souffrir deux fois aujourd’hui, ayant au cœur l’ivresse tendre de son propre amour. Qu’eût-ce été s’il avait compris la signification complète de toutes les phrases où s’épanchait la mélancolie de son camarade ?

— « C’est étrange, » avait commencé Olivier, « combien, tout jeune, on peut avoir un pressentiment complet de la vie ! En ce moment, je me rappelle, comme si nous y étions, une promenade que nous avons faite ensemble, en Auvergne. Tu ne t’en souviens certainement plus ? Nous revenions de La Varenne à Chaméane. C’était pendant les vacances, après notre troisième. J’avais passé quinze jours chez tes parents, et je devais partir le lendemain pour rentrer chez mon abominable tuteur. Il faisait un ciel de septembre, doux comme celui-ci, et la même lumière transparente. Nous nous assîmes au pied d’un mélèze pour nous reposer. Je te voyais, je voyais le bel arbre, la belle forêt, le beau ciel J’éprouvai tout d’un coup une