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Pierre, « mais c’est vraiment un aimable compagnon et qui m’a été d’une grande ressource… »

— « Ça m’étonne de lui et de toi, » reprit Olivier. « Mais pourquoi ne m’en as-tu jamaisparlé dans tes lettres ? J’aurais été plus aimable… »

Ce n’était rien non plus, ce bout de dialogue. Il suffit pour établir entre ces trois personnes cette atmosphère de gêne qui gâte parfois les retours les plus désirés. Hautefeuille avait cru deviner un petit reproche dans la phrase de son ami sur ses lettres, et il avait senti, de nouveau, dans la remarque de Mme Du Prat, la froideur d’une hostilité. Il se tut. La voiture remontait en ce moment la route en lacets qu’il avait descendue avec Corancez le matin de leur visite à la Jenny, et la blanche silhouette de la villa Helmholtz apparut à gauche, par delà le floconnement argenté des oliviers. L’image de sa maîtresse s’évoqua dans l’esprit du jeune homme avec la plus violente intensité, et il établit une involontaire comparaison entre sa chère, sa divine Ely, et la femme de son camarade. La petite Française, assise à son côté, un peu guindée et sèche dans son élégante raideur, lui sembla soudain si étriquée, si pauvre, si neutre, si totalement inintéressante, en regard du souple et voluptueux fantôme de la grande dame étrangère ! Berthe Du Prat offrait dans toute sa personne cette distinction sobre et un peu grise qui est la vraie marque de la Parisienne bien élevée. L’espèce existe. Son costume de voyage sortait de chez un grand faiseur, mais elle avait eu