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cette bouche ! » s’écria Fregoso ; « et ce menton, est-il puissant ! … Exprime-t-il assez la volonté, l’orgueil, toutes les énergies de la reine qui défia Latone ! … Et ces lèvres, entendez-vous le cri qui les traverse ? Suivez cette joue : à ce qu’il en reste, on la retrouve… Et le nez ! Quelle noble forme l’artiste avait su lui donner ! … Regardez ! … » Il saisit la tête, la mit sous un certain angle, tira son mouchoir, en prit un morceau entre ses deux mains, et il le tendit au bas du front de la statue, à la place où il n’y avait plus qu’une plaie béante dans la pierre. « La voici, cette ligne du nez ! … je la vois… Je vois les larmes qui coulent, tenez, là… » Et il mit la tête sous un autre angle, « Je les vois… Allons ! » conclut-il, après un silence et un soupir, « il faut rentrer dans la vie. Relevons les rideaux et rouvrons les volets… » Et, lorsque la lumière du jour fut revenue jouer sur l’informe débris, Fregoso poussa un nouveau soupir ; puis, avisant une autre tête moins complètement ruinée, il la prit, et, s’inclinant devant miss Marsh, dont les connaissances techniques et l’attention avaient flatté délicieusement sa manie :

— « Mademoiselle, » dit-il, « vous méritez de posséder un fragment d’une statue qui ornait l’Acropole… Permettez-moi de vous offrir cette tête, découverte dans les dernières fouilles… Regardez le sourire. » Et la tête, élevée dans les mains du vieillard, souriait, en effet, d’un sourire des joues, inquiétant, à la fois sensuel et mystérieux.