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C’est la folie de la France depuis cent ans… »

— « Hé ! c’est aussi la folie de l’Italie depuis vingt-cinq, » reprit l’Américaine ; « mais nous sommes là, » ajouta-t-elle gaiement, « pour tout acheter et tout sauver… Oh ! l’adorable chapelle, regardez… Eh bien ! je parie que ces fresques finiront à Marionville ou à Chicago. »

Et elle montrait à Pierre les peintures murales de l’oratoire où était entré le cortège. Cette petite pièce, où le cardinal-pirate avait sans doute officié, était décorée, de la base à la voûte, par une vaste composition symbolique, œuvre d’un de ces maîtres inconnus comme il s’en rencontre à chaque pas en Italie. Partout ailleurs ils seraient célèbres. Mais là, comme le disaient les soldats de la fameuse charge, ils sont trop ! Ce peintre, influencé par les merveilleuses fresques dont Lorenzo Lotto a paré la chapelle Suardi à Bergame, avait représenté au-dessus de l’autel un Christ debout, ouvrant ses mains. De l’extrémité de chacun des doigts du Sauveur partait un sarment de vigne qui s’étalait, qui s’allongeait jusqu’à la voûte, chargé de raisins. Ces sarments se recourbaient tous en lunettes pour encadrer, d’un côté, cinq figures de saints, et, de l’autre, cinq figures de saintes. Au-dessus de la tête du Christ, cette inscription : « Ego sum vitis, vos palmites… — Je suis la vigne, vous êtes les rameaux, » donnait à cette fantaisie décorative sa justification évangélique. Sur les murs et dans des compartiments dessinés par des colonnades se voyaient les épisodes