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Paolo, mon parrain d’il y a trois cents ans, lequel fit de la piraterie, s’il vous plaît, — avant le chapeau, s’entend, — fut jaloux des Pierino del Vaga du palais Doria. Il fit venir un autre élève de Raphaël, celui qui avait aidé le maître au Vatican… Tous ces dieux ont leur histoire. Ce Bacchus, c’est le cardinal lui même, et cet Apollon sans autre vêtement que sa lyre, son coadjuteur… Ne vous scandalisez pas trop, dom Fortunato… Mais il est parti pour aller se préparer à sa messe : meno male… Ces Van Dyck non plus ne sont pas mal, dans leur genre… Ils ont leur histoire aussi. Regardez cette belle dame, avec son sourire si fin, si mystérieux. Elle tient un œillet rouge à la main sur une robe verte et, si vous pouviez lire les lettres entrelacées sur sa ceinture, vous y liriez cette devise : Ora e sempre, — maintenant et toujours… À présent regardez ce jeune homme, avec le même sourire, la même étoffe verte de son pourpoint, le même œillet et le même chiffre à la ganse de sa toque posée sur la table. Ils se sont fait peindre ainsi, dans le même costume, parce qu’ils s’aimaient. Le jeune homme était un Fregoso, la dame une Alfani, donna Maria Alfani… Cela se passait pendant l’absence du mari, prisonnier chez les Algériens ; tous les deux croyaient bien qu’il ne reviendrait jamais… Chi non muore, si revede, disait volontiers le cardinal… Qui ne meurt pas se revoit toujours… Le mari est revenu et les a tués… On cachait leurs portraits dans la famille. Moi, je les ai mis là… »