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qui laissait voir une grotte artificielle, peuplée de gigantesques divinités. Plusieurs sarcophages décoraient cette entrée où se respirait l’air de magnificence et de délabrement habituel aux vieilles demeures d’Italie. Sur les marches usées de l’escalier, combien de générations avaient passé, depuis que le caprice d’un décorateur génial avait dessiné les moulures blanches sur fond jaune dont s’ornaient les caissons ! Combien de visiteurs avaient débarqué ici des colonies lointaines avec lesquelles commerçait la grande République ! Mais aucun défilé depuis trois siècles n’avait été plus singulier que celui de cette grande dame Vénitienne venue de Cannes sur le yacht d’un Américain, pour épouser un gentillâtre ruiné de Barbentane, assistée d’une jeune fille Américaine et d’une Autrichienne, archiduchesse morganatique, accompagnée elle-même de son amant, un Français de la plus simple, de la plus provinciale tradition française !

— « Ce n’est pas une noce banale que ma noce, tu l’avoueras… » dit Corancez à Hautefeuille, en suivant du regard les trois femmes derrière lesquelles son ami et lui s’attardaient. Ils ne s’étaient plus revus depuis la matinée de Cannes où ils avaient visité ensemble la Jenny. Le fin Méridional, dès ces quelques minutes de leur nouvelle rencontre, avait senti une vague gêne dans la poignée de main et dans le regard de Pierre. L’amoureux n’avait pas, une seule fois, sur le bateau, été troublé dans son bonheur par la