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Lorsque je me suis réveillée, et que j’ai aperçu le ciel voilé, la mer grise, j’ai eu un frisson, un pressentiment. J’ai pensé que tout était fini, puisque tu n’étais plus mon prince Beau-Temps… » Elle appelait Pierre de ce tendre surnom, prétendant que le ciel s’était fait bleu chaque fois qu’elle lui avait donné un rendez-vous de promenade, et elle continuait, caressante, enveloppante, irrésistible : « Quel délice d’avoir tremblé ainsi et de te retrouver, toi, comme je t’ai laissé hier, non, pas hier, ce matin… »

Elle eut, pour rappeler qu’ils s’étaient quittés peu d’heures auparavant, un sourire si mêlé de langueur et de finesse, de grâce et de volupté, que le jeune homme prit le bord du manteau dont elle était enveloppée, une cape écossaise, avec une longue pèlerine qui flottait au vent, et il y mit un baiser, au risque d’être aperçu par les Chésy et par Dickie Marsh qui s’approchaient. Heureusement, l’Américain et ses deux interlocuteurs n’avaient de regards que pour l’admirable ville, de plus en plus voisine et distincte. Elle érigeait maintenant dans son cirque de montagnes, par delà ses deux ports et la forêt de vergues des mâtures, ses innombrables maisons, démesurées, toutes en hauteur, pressées, serrées les unes contre les autres. De petites rues étroites, presque des ruelles, en pentes brusques, coupaient ces masses par angles droits, et ces maisons peintes en couleurs jadis vives, délavées par les pluies, mangées par le soleil, n’en donnaient pas moins l’idée d’une cité