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ami auprès d’elle, et si à elle ! Il la regardait de ses yeux jeunes, où elle lisait tant de respect mêlé à tant d’amour, tant de timidité mêlée à tant de désir. Il lui parlait, lui disant des mots que tout le monde pouvait entendre, mais avec une voix qu’il n’avait que pour elle, où frémissait un tremblement. Elle commença par lui répondre, puis elle finit, elle aussi, par se taire. Des profondeurs de son être une vague de passion montait, ravageant tout, noyant tout. Que pesaient les craintes de l’avenir, les remords du passé, à côté de la présence de Pierre, ce Pierre dont elle voyait, dont elle sentait le cœur battre, la poitrine respirer, le corps bouger, l’esprit penser, la personne vivre ? … Au commencement du repas, leurs genoux s’étaient frôlés, et tous deux s’étaient retirés par une honte spontanée de ces familiarités que prémédite le libertinage. Mais il y a, chez deux créatures qui s’aiment, une force plus puissante que toutes les hontes, fausses ou vraies, et qui les contraint de se rapprocher, de s’étreindre, d’échanger, de se prodiguer ces caresses, si vulgaires quand elles sont voulues et calculées, si romanesques, si délicates lorsqu’elles sont sincères et empreintes de cet infini que le sentiment communique à ses plus humbles signes. À un moment, leurs pieds se touchèrent sous la table. Ils se regardèrent. Ni l’un ni l’autre n’eut le courage de se reculer. À un autre moment, comme Hautefeuille avait glissé dans une phrase un rappel d’une de leurs tendres promenades à Cannes, Ely éprouva