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dit sa position à la Bourse. Il laissera douze cent mille francs sur le carreau… Si ce n’est pas fait à la minute où je vous parle, ce sera fait à la fin du mois… »

— « Et vous lui avez dit tout cela ? »

— « À quoi bon ? » reprit l’Américain, « Je lui gâterais ce voyage… Et puis, il sera toujours temps à Gênes, d’où il pourra télégraphier à son agent de change… Mais c’est vous, baronne, qui m’aiderez à leur rendre un vrai service. Vous avez deviné, » poursuivit-il, « que si Brion conseille à Chésy d’être avec les bulls, c’est qu’il est lui-même un bear… Pardon encore, vous ne savez pas non plus : nous appelons ainsi les baissiers. C’est l’ours qui se balance, qui roule, qui semble lourd, pesant, pataud, et qui vous étouffe.,. Commencez-vous à saisir ? … Que Brion mette Chésy dedans, et manœuvre de manière à lui gagner son million, c’est légitime. La Bourse ressemble au poker. Quand on est assez bête pour demander l’avis de son adversaire, il a bien raison de bluffer et de vous prendre tout votre argent. Chaque fois qu’un financier donne des conseils à un homme du monde, c’est la même histoire. C’est classique, c’est réglé. 4ll right ! … Seulement Brion a encore une autre visée. Voyez-vous Mme de Chésy avec dix ou quinze mille francs de rente ? … Le plan est-il clair ? … »

— « Cet abject calcul lui ressemble assez, » dit avec dégoût Ely. « Mais en quoi puis-je vous aider à empêcher que cette canaille offre à la pauvre