Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/190

Cette page n’a pas encore été corrigée

que ce dernier rendait à son ami, — comment n’eût-elle pas senti davantage la constante menace suspendue sur son nouveau bonheur ? Et chaque fois, ainsi qu’à présent, une angoisse l’avait étreinte, inexprimable. C’était comme si tout le sang de ses veines se fût soudain écoulé par une invisible et profonde blessure. Hélas ! Il n’était pas besoin que le nom redouté passât dans la conversation des deux amoureux pour que cette même angoisse étouffât ce pauvre cœur. Il suffisait que le jeune homme, au cours d’une causerie intime, exprimât ingénument son opinion sur quelqu’une des aventures de galanterie rapportées par la chronique de la côte. Elle insistait alors pour qu’il parlât, afin de mieux mesurer la rigueur de son intransigeance morale. Elle aurait tant souffert qu’il sentît autrement ! Car il n’aurait pas été lui, alors, il n’aurait pas eu cette noble et pure conscience inentamée par la vie. Et elle souffrait tant qu’il sentît ainsi, qu’il la condamnât comme il faisait, et sans même s’en douter, dans son passé ! Oui, elle insistait anxieusement pour qu’il découvrît le fond même de sa pensée, et, avec un mortel effroi, elle y apercevait cette idée, trop naturelle à une âme neuve, que si tout est pardonnable à l’amour, rien n’est pardonnable au caprice, et qu’une femme d’une réelle noblesse de cœur ne peut pas avoir eu deux amours. Quand Hautefeuille prononçait ainsi quelque phrase qui supposait en lui cette foi absolue et naïve dans l’unicité de l’amour vrai, invinciblement, implacablement Olivier réapparaissait