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par-dessus toutes les fanges de la vie ? Il n’était pas jusqu’à cette petite installation d’un goûter improvisé qui n’achevât de donner à cet instant passager un charme plus intime, l’illusion d’un home où tous deux vivraient cœur à cœur dans la volupté ininterrompue de la présence quotidienne, et c’est l’impression que le jeune homme traduisit à haute voix après qu’ils furent restés un peu de temps à jouir de leur solitude, sans une parole :

— « Que cette heure est douce ! » dit-il. « Si douce que je ne l’avais même pas rêvée ! …Pensez donc : si ce bateau était à nous, et si nous pouvions aller ainsi, pour de longs jours, vouset moi, moi et vous, rien que nous deux, vers cette Italie que je voudrais voir avec vous seule, vers cette Grèce où vous avez pris votre beauté. Que vous êtes belle et comme je vous aime ! … Dieu ! Si cette heure pouvait ne jamais finir ! … »

— « Enfant ! toutes les heures finissent, » répondit Ely en fermant à demi ses yeux brunsdans lesquels le discours exalté du jeune homme avait fait passer une extase. Puis, comme en réaction contre un de ces frissons du cœur presque douloureux à force, elle eut une grâce, presque une mutinerie de jeune fille, pour reprendre : « Ma vieille gouvernante allemande me disait toujours en me montrant les oiseaux du parc, à Sallach : « II faut leur ressembler et être « contents comme eux, avec des miettes… » C’est vrai qu’on n’a que des miettes dans la vie… Mais je me suis juré, » continua-t-elle, « de ne pas vous