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et il n’y eut plus autour du bateau en marche que cette eau mouvante et ce ciel immobile où le soleil commençait de descendre. Ces fins des belles après-midi, l’hiver, en Provence, ont de ces heures réellement divines, avant que le brusque frisson du soir ait glacé toute l’atmosphère et assombri tout le paysage. Maintenant que les autres hôtes du yacht étaient descendus dans la salle à manger, il semblait que les deux amoureux fussent tout seuls au monde sur une terrasse flottante, parmi les arbustes et dans le parfum des fleurs. Un des domestiques du bord, pareil à quelque agile et silencieux génie, avait installé auprès d’eux la petite table pour le thé, avec un appareil d’argenterie compliqué, ou se retrouvait le blason de fantaisie adopté par Marsh, et qui décorait déjà les tasses et les assiettes : une arche de pont sur un marais, — Arch on Marsh. — Ce jeu de mots, dans le goût de celui qui avait baptisé le bateau, flamboyait en hautes lettres sous l’écusson. Le « pont » de ces armes parlantes était en or, le « marais » était en sable, et le tout s’enlevait sur un champ d’argent. L’Américain se souciait peu des hérésies héraldiques ; il traduisait ces emblèmes par : noir, rouge, blanc, les trois couleurs de son pavillon ; et ce blason avec cette devise signifiait, dans sa pensée, que son chemin de fer, célèbre parla hardiesse de ses viaducs, l’avait sauvé de la misère, figurée ici par le marais ! … Naïf symbolisme et qui aurait convenu plus justement à l’arche de songe jetée pour les deux amoureux à cette minute