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se sait aimé, ressemblait peu au pli lassé que les plaisanteries de Corancez éveillaient au coin de sa bouche quinze jours auparavant ! Et elle, avec un rien de rose à ses joues trop pâles d’habitude, avec sa bouche entr’ouverte qui aspirait pêle-mêle la salubre senteur de la mer et le délicat parfum des fleurs, avec son front où la pensée s’était comme éclairée, qu’elle ressemblait peu à l’Ely de la villa Brion, maudissant, sous les étoiles de la plus douce nuit méridionale, l’impassible beauté de la nature ! … Assise à quelques pas de son aimé, combien cette nature lui semblait douce, aussi douce que cet arôme des roses dont ses doigts froissaient les pétales, aussi caressante que cette molle brise, aussi enivrante que ce libre ciel et cette libre mer ! Que d’indulgence elle sentait en elle-même pour les petits défauts qu’elle condamnait, l’autre soir, dans les personnes de sa société ! Les hésitations éternelles d’Andriana Bonaccorsi, le positivisme de Florence Marsh, le mauvais ton d’Yvonne de Chésy, n’excitaient plus en elle qu’un demi-sourire complaisant. Elle oubliait de s’irriter, à l’inverse de ses habitudes, contre la naïve et comique importance que Chésy se donnait à bord du bateau. Coiffé de la casquette bleue à visière droite, raide et tendu, dans son rôle comique d’invité titré et protecteur, le petit homme expliquait les raisons de la supériorité de la Jenny sur la Dalila et sur l’Albatros. Il débitait des mots techniques prononcés devant lui par Marsh et il donnait des ordres pour le thé :