Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/17

Cette page n’a pas encore été corrigée

de l’alcool, cependant que des masques exotiques, par l’animation des yeux et de la bouche, par la chaude ardeur de la peau, évoquaient d’autres climats, des contrées lointaines, des fortunes faites par delà les mers dans ces régions mystérieuses que nos pères appelaient poétiquement « les Iles » . Et de l’argent, encore de l’argent, toujours de l’argent ruisselait de cette foule sur le tapis des tables dont le nombre était augmenté depuis la veille. Quoique autour de ces dernières parties — les aiguilles de la grande horloge placée au-dessus de la porte d’entrée marquaient dix heures moins un quart — les joueurs se fissent plus compacts de minute en minute, ce n’était pas une rumeur de conversation qui dominait dans les salles, mais un bruit de pas piétinant sur place, d’allées et venues ininterrompues autour de ces tables. Elles s’étalaient au milieu de cette houle humaine comme des roches plates dans la marée montante, immobiles sous le coup de balai des lames. Cette rumeur des pieds sur le parquet s’accompagnait d’une autre, non moins ininterrompue ; le tintement des pièces d’or ou d’argent que l’on entendait se choquer, se rassembler, se séparer courir, vivre enfin de cette vie sonore et rapide passionnante et décevante qu’elles ont sous le râteau des croupiers. Le cliquetis de la bille dans les salles de roulette scandait d’un appel mécanique les formules mécaniquement répétées, où les mots « rouge » et « noir », « pair » et « impair », « passe » et « manque », revenaient