Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/156

Cette page n’a pas encore été corrigée

qui dissout les plus fortes volontés. Jamais la physionomie du jeune homme ne lui avait paru plus fière et plus pure, son regard plus attrayant, sa bouche plus délicate, ses gestes plus gracieux, tout son être enfin plus digne d’être aimé. Elle discernait dans toute son attitude ce mélange de respect et de passion, d’idolâtrie et de timidité, si puissant sur les femmes qui ont souffert de la brutalité du mâle et qui rêvent de rencontrer l’amour sans les sursauts de la haine sensuelle, la tendresse passionnée sans la jalousie, la volupté heureuse sans la violence. Elle aurait voulu crier à Yvonne de Chésy : « Taisez-vous. Ne voyez-vous pas que vous lui faites mal ? … » Mais elle savait que l’étourdie n’avait pas dans le cœur un atome de méchanceté. C’était une Parisienne d’aujourd’hui, très sensible et très innocente malgré un très mauvais ton, jouant au scandale par enfantillage, avec un fond réel d’honnêteté, une de ces imprudentes qui paient quelquefois, de leur honneur et de leur bonheur, un naïf désir d’étonner et de s’amuser. Elle reprit, se racontant tout entière dans l’anecdote que l’arrivée d’Hautefeuille avait interrompue :

— « La fin de mon aventure ? … Je vous ai déjà dit que ce monsieur m’avait prise justement pour une de ces demoiselles. À Nice, une petite femme qui dîne toute seule, à une petite table du grand salon de London-House… Et il s’était donné un mal pour se faire remarquer, et des « hum ! hum ! » par ci, — j’avais envie de lui offrir des boules de