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pour le bannir à jamais de sa présence. La certitude que cet entretien roulerait sur ce qu’il se reprochait, maintenant, comme un crime, lui fut si intolérable que l’idée le saisit de ne pas aller au rendez-vous, de ne jamais revoir cette femme offensée, de s’enfuir ailleurs, bien loin, pour toujours. Il reprît la lettre et il se dit : « C’est vrai, je n’ai plus qu’à m’en aller ! … » Frénétiquement à la fois et machinalement, comme si une réelle suggestion eût émané des phrases écrites sur cette petite feuille de papier bleuté, il sonna, il demanda un indicateur, que l’on préparât sa note, que l’on apportât sa malle. Si l’express d’Italie, au lieu de partir dans l’après-midi, eût quitté Cannes vers onze heures, peut-être le pauvre enfant eût-il, dans cette attaque de demi-folie, précipité une fuite qui devait, quelques heures plus tard, lui paraître aussi insensée qu’elle lui paraissait nécessaire en ce moment-là. Mais pour prendre le train, il fallait attendre, et, une fois cette première crise passée, Hauteteuille sentît qu’il ne devait, qu’il ne pouvait pas fuir, comme un coupable, avant de s’être expliqué. Il ne pensait pas à se justifier : à ses propres yeux, il était injustifiable. Pourtant il ne voulait pas que Mme de Carlsberg le condamnât sans qu’il eût plaidé pour sa propre délicatesse. Hélas ! que lui dirait-il ? Durant ces heures qui le séparaient de son rendez-vous, combien de discours imagina-t-il sans se douter que la force souveraine qui l’attirait vers cette femme n’était pas ce besoin de plaider sa cause ! C’était vers la sensation de la