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physionomie trop menaçante pour que l’on sourît de ses paradoxes, comiques autant qu’inefficaces, dans cet opulent décor de haute vie. Les personnes initiées aux dessous de l’histoire contemporaine se rappelaient qu’une légende, d’ailleurs calomnieuse, associait le nom de « l’archiduc rouge » à un mystérieux attentat, dirigé contre le chef même de sa famille. Le rêve sanguinaire d’un césarisme démagogique jaillissait trop visiblement de ces yeux cruels qui ne regardaient en face que pour outrager. On sentait la présence du tyran, tyran muselé, paralysé, à qui les circonstances seules avaient manqué, — mais de si peu ! Malgré soi, on en tremblait. — D’ordinaire, quand il avait ainsi lancé quelques sinistres coups de boutoir, personne ne répondait, et le dîner continuait dans un silence de gêne et d’oppression. Le Néron en disponibilité jouissait de cette terreur pendant quelques minutes. Puis il lui arrivait, ayant déchargé sa bile, de vouloir plaire et de déployer toutes les séductions de sa nature. Sa remarquable lucidité d’intelligence étonnait alors les plus hostiles, sa culture, son absence de préjugés et soin immense érudition des découvertes nouvelles. Ce soir-là, il était sans doufe tourmenté par une inquiétude particulière, car il ne désarma point, jusqu’au moment où, à peine revenus dans le salon, une phrase de Mme de Carlsberg à Mme Brion fit éclater la vraie cause de sa terrible humeur.

— « Nous saurons cela par Flossie Marsh. Elle vient déjeuner demain, » avait dit la baronne.