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déréglée pour les mêmes gens, et sans autre cause que cette impuissance à contrôler son humeur, — impuissance qui avait fait de lui, avec tant de dons, un personnage tyrannique, redouté, mal jugé, profondément malheureux, et, pour emprunter au même Corancez une épigramme vulgaire, mais trop justifiée, « le grand Raté du Gotha » .

Mme de Carlsberg avait une trop longue expérience de ce caractère pour ne pas connaître son mari admirablement, et elle en avait trop souffert pour ne pas être, de son côté, souverainement injuste à son égard. L’humeur est, de tous les défauts, celui que les femmes pardonnent à un homme le moins volontiers. Il est trop contraire à la plus virile des vertus : la constance. Celle-ci était trop fine pour ne pas lire, sur cette physionomie tourmentée du César manqué, l’orage approchant, comme font les marins sur la face du ciel et de la mer. Lorsque, au soir de son retour à Cannes, elle se trouva assise vis-à-vis de lui, à table, elle n’eut pas de peine à deviner que le repas ne se terminerait point sans quelqu’une de ces paroles féroces ou l’archiduc soulageait son fiel dans les mauvaises heures. Au premier regard, elle avait compris qu’il nourrissait de nouveau un violent grief à son endroit. Quel grief ? Avait-il su déjà, par Laubach, cet infâme Judas, au profil fuyant, aux manières félines, comment elle s’était comportée au jeu la veille, et, par un de ces détours d’orgueil dont il était coutumier, se