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et par qui elle serait comprise. D’ordinaire, comme Ely l’avait proclamé la veille, les hésitations de la sentimentale et craintive Italienne la fatiguaient, et dans la passion de l’Américaine pour le préparateur de l’archiduc il entrait un élément de positivisme réfléchi qui déconcertait sa fougue native. Mais la jeune veuve et la jeune fille étaient deux amoureuses, et cela suffisait pour qu’à l’heure de son martyre ce lui fût une douceur, presque un besoin de les voir. Elle ne se doutait guère que cette invitation, tout impulsive et si naturelle, provoquerait une scène violente avec son mari, ni qu’une lutte conjugale s’engagerait à la suite, — lutte sourde et implacable dont le dernier épisode influa si tragiquement sur l’issue de cette passion commençante qu’elle s’était juré de sacrifier.

Arrivée à Cannes vers trois heures de l’après-midi, elle n’avait pas vu l’archiduc durant le reste de la journée. Elle savait qu’il était enfermé avec Marcel Verdier dans le laboratoire. Elle ne s’en était pas étonnée, non plus que de le voir apparaître, à l’heure du dîner, suivi par son aide de camp, le comte de Laubach, l’espion professionnel de Son Altesse. Et pas une marque d’intérêt sur sa santé, pas une question sur la manière dont elle avait employé ces dix jours ! … Le prince avait été, dans sa jeunesse, l’un des plus hardis et des plus beaux cavaliers d’un pays qui en compte d’incomparables. L’ancien militaire se