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marquise, Corancez, miss Marsh. Le regard de l’une hier, la phrase et le sourire de l’autre, ce que m’a dit la troisième et sa rougeur d’avoir pensé tout haut, ce ne sont pas des rêves, cela… Ils savent que je l’aime ? … Mais alors, hier, quand il me conduisait vers la table de jeu, Corancez devinait tout ce que j’éprouvais ? Cette dissimulation de sa part, est-ce possible ? Et pourquoi pas ? Il le disait lui-même tout à l’heure : pour qu’il ait pu cacher à Navagero, aux Chésy, à tout cet odieux monde, le sentiment qu’il porte à Mme Bonaccorsi, il faut bien qu’il sache se taire… Il a pu le cacher, et moi, je n’ai pas pu cacher le mien… Qui sait si tous les trois ne m’ont pas vu acheter le porte-cigarettes ? Non ! Ils n’auraient pas eu la cruauté d’en parler et d’en laisser parler devant moi. Marius n’est pas méchant, ni la marquise, ni miss Marsh. Ils savent, voilà tout, ils savent. Mais comment savent-ils ?.. »

Oui, comment ? Se poser une pareille question à soi-même, pour un amoureux, et rongé par cette susceptibilité d’âme, c’était aboutir nécessairement à un de ces examens de conscience où le scrupule développe toutes les illusions, toutes les folies de sa fièvre imaginative. Dans le chemin que fit Pierre pour regagner la Californie, puis assis devant la table où on lui servait son déjeuner à part, enfin dans une promenade solitaire prolongée jusqu’au pittoresque village de Mougins, toute sa vie de ces dernières semaines se représenta