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deviennent aussitôt un réel supplice. Hélas ! cette rougeur même ne pouvait qu’aggraver la douloureuse surprise que le nom de Mme de Carlsberg ainsi prononcé venait d’infliger à Hautefèuille. Par une invincible et foudroyante association d’idées, il se rappela les mots de Corancez : « Je suis sûr que miss Marsh aura raison de ce scrupule, » et son dernier sourire. Le regard de Mme Bonaccorsi, la veille, dans le train, lui revint à la mémoire. Une intuition irraisonnée et indiscutable lui révéla que le mystère de passion caché au plus profond de son être avait été surpris par ces trois personnes. Un frisson de pudeur, de révolte et d’inquiétude courut dans toutes ses veines, si violent qu’il en eut une palpitation étouffante. Le martyre de parler, dans cette minute de suprême saisissement, lui fut épargné, grâce à Corancez, qui s’aperçut bien de l’effet produit sur son camarade par l’imprudence de l’Américaine, et, faisant lui-même les honneurs du bateau :

— « Que dis-tu, Hautefeuille, de ce salon et de ce fumoir ? Est-ce compris ? Ce décor de bois clair et laqué, est-il élégant, et de quelle élégance nette et virile ? … Et cette salle à manger ? Et ces cabines ? On y passerait des mois, des années ! … Tu vois, chacune avec son cabinet de toilette et son bain… »

Et il guidait son compagnon et la jeune fille elle-même. Il se rappelait les moindres détails, grâce à l’étonnante mémoire des choses que possèdent