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miss Flossie Marsh, assise devant un chevalet, et occupée à laver une aquarelle. Minutieusement, patiemment, elle copiait le paysage développé devant ses yeux : le groupe des îles fondues ensemble, là-bas, semblable à une longue et sombre carapace velue, immobile sur l’eau bleue, — la ligne creusée, allongée, comme souple, du golfe, avec la succession des maisons parmi les verdures, — cette eau d’un si intense, d’un si absorbant azur, avec les taches blanches des voiles, — et, sur tout cet horizon, l’enveloppement d’un autre azur, celui du ciel, léger, transparent, lumineux… Sous la main appliquée de la jeune fille, cet horizon se fixait en formes et en couleurs dont l’exactitude et la sécheresse révélaient un don tout petit au service d’une volonté très grande.

— « Ces Américaines sont étonnantes, » souffla Corancez à Hautefeuille : « Il y a dix-huit mois, celle-ci n’avait jamais touché un pinceau ; elle s’est mise à travailler. Elle s’est fabriquée artiste, comme elle se fabriquera savante si elle épouse Verdier. Elles se construisent des talents sur l’esprit comme leurs dentistes vous bâtissent des dents d’or dans la bouche… Elle nous a vus… »

— « Mon oncle est occupé en ce moment, » dit l’aquarelliste improvisée après avoir échangé avec les nouveaux venus une vigoureuse poignée de main, « Je prétends qu’il aurait dû appeler le bateau : mon office… Est-ce que c’est le mot français ? … A peine arrivés dans un port, on installe