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pas qu’elle se remarie, parce qu’il vit à même la grosse fortune qui n’est qu’à elle… »

— « Quelle infamie ! » interrompit Hautefeuille, « Et tu es bien sûr, bien sûr de ce que tu me racontes ? »

— « Sûr comme je vois le bateau de Marsh, » reprit Corancez en montrant du doigt le svelte yacht à l’ancre dans le port ; et il continua, avec une espèce de goguenardise, à la fois sentimentale et mâle, qui n’était pas sans grâce : « Et ce que j’ai à te demander, c’est de travailler avec moi à l’exécution de ce joli monsieur. Tu vas comprendre… Nous autres Provençaux, nous avons un côté Don Quichotte. Le soleil nous met ça dans le sang, ce goût, cette manie de nous emballer pour quelque chose ou quelqu’un. Si Mme Bonaccorsi avait été heureuse et libre, je n’y aurais pas fait attention. Quand j’ai, su qu’elle était indignement exploitée et malheureuse, j’en suis devenu amoureux fou. Comment je suis arrivé à le lui dire et à savoir qu’elle m’aimait, je te raconterai cela un jour. Si Navagero est de Venise, je suis de Barbentane. C’est un peu plus loin de la mer, un peu moins romantique, un peu moins glorieux, mais on y connaît tout de même la navigation… Tant il y a que je vais épouser Mme Bonaccorsi et que je viens te demander d’être mon témoin. »

— « Tu vas épouser Mme Bonaccorsi ? » répéta Hautefeuille, que sa stupeur empêcha de répondre à son camarade : « mais le frère, alors ? … »