faire bon marché de leur propre sécurité. Ce qu’il avait déjà vu, la veille, dans cette hallucination de son premier scrupule, il le vit de nouveau, plus nettement, plus amèrement : cette scène possible entre l’archiduc et la baronne Ely, scène dont il risquait d’être la cause, si vraiment le prince savait la vente du bijou, et si la baronne avait en vain cherché à le racheter. C’en était assez pour qu’il n’écoutât plus que d’une oreille distraite les hâbleries de Corancez. Celui-ci, pourtant, avait eu assez de tact pour détourner la causerie et entamer quelqu’une des anecdotes bouffonnes de son répertoire. Qu’importait à Pierre cette chronique, plus ou moins vérifiée, des ridicules ou des scandales de la côte ? Il ne prêta de nouveau son attention qu’au moment où, arrivés sur la Croisette, son camarade se décida à frapper le grand coup. Sur cette promenade, plus peuplée ce matin-là que d’habitude, un personnage s’avançait, qui allait fournir au Méridional le meilleur prétexte pour sa confidence et pour sa demande, et, prenant soudain le bras du songeur, qu’il réveilla de ses pensées, il dit à mi-voix :
— « Je t’ai raconté que Mme de Carlsberg avait été particulièrement bonne pour moi, ces temps derniers ; et je t’avais annoncé, en quittant l’hôtel, que j’aurais sans doute un service à te demander, un grand service. Tu ne saisis pas le lien ? Tu vas le saisir et comprendre cette énigme. Vois-tu quelqu’un s’avancer de notre côté ? … »
— « Je vois le comte Navagero, » répondit Hautefeuille,