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En proposant ce « plus long », le Provençal avait son idée. Il voulait conduire son ami par un chemin qui passât devant la grille de certain jardin, celui de Mme de Carlsberg. C’était une façon de psychologue que Marius de Corancez, et son instinct lui servait de guide plus assuré que n’eussent fait les savantes théories d’un Taine ou d’un Ribot sur la reviviscence des images. Il s’en rendait compte : Pierre Hautefèuille verrait surtout dans le complot de Gênes une occasion de voyager avec la baronne Ely. Plus l’idée de la jeune femme lui aurait été rendue présente, plus il serait disposé à répondre le « oui » dont Corancez avait besoin. Cet innocent machiavélisme fut cause qu’au lieu de se diriger droit vers le port, les deux camarades s’engagèrent dans ce lacis de routes et de sentiers qui court à l’ouest de la Californie. Il y a là toute une suite de ravins demeurés intacts et plantés d’oliviers, de ces beaux arbres au fin feuillage qui donnent un coloris d’argent au vrai paysage de Provence, celui qui ne joue pas aux Tropiques et à la serre chaude. Les maisons s’y font plus rares, plus isolées ; et, à certains moments, comme dans les replis du vallon d’Urie, on se croirait à cent lieues de toute ville et de toute plage, tant les escarpements du terrain boisé dérobent la vue du Cannes moderne et de la mer. La misanthropie de l’archiduc Henri-François l’avait décidé à établir sa villa sur le coteau même au pied duquel se creuse cette espèce de parc, nécessairement habité et entretenu