Page:Bourget - Nouveaux Essais de psychologie contemporaine, 1886.djvu/160

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passants. Toute leur personne porte l’empreinte des lassitudes du travail héréditaire et quotidien. Combien peu de ces physionomies expriment la libre félicité de la vie animale ? Combien moins encore le développement puissant de la vie morale ? Les costumes, dépourvus de tout caractère pittoresque et de toute originalité individuelle, laissent le plus souvent deviner des constructions du corps ou se manifeste une double usure : celle du métier et celle du plaisir. On écrirait un chapitre effrayant de l’histoire des mœurs sur les dépressions de ce plaisir qui, dans nos grandes villes, continue par une fatigue nerveuse l’épuisement nerveux du labeur. Dans les rides des visages, dans le regard des yeux, dans la contraction des gestes, transparaît la complexité d’une pensée jamais reposée, d’une activité morcelée, foulée, presque affolée. Le décor des maisons s’harmonise à ce peuple. La coquille s’est façonnée sur l’animal. Elle, comme lui, sont une œuvre de l’Utile ; — mais la Beauté, où donc se rencontre-t-elle, si ce n’est par l’effort du raisonnement qui réunit en un faisceau toutes ses agitations éparses et se figure la poussée gigantesque de l’effort total ? Beauté souillée et malheureuse ! . . . Qui nous rendra les jours de la grâce