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Plus vieux, plus décrépits que la terre inféconde,
Châtrés, dès le berceau, par le siècle assassin,
De toute passion vigoureuse et profonde.

Votre cervelle est vide ainsi que votre sein,
Et vous avez souillé ce misérable monde
D’un sang si corrompu, d’un souffle si malsain,
Que la mort germe seule en cette boue immonde[1].


Il y a dans cette colère plus que la crispation de la sensibilité brutalisée par les circonstances hostiles. Il y entre aussi le haut-le-cœur de l’artiste devant les déformations et les trivialités. L’âme poétique n’est pas seulement une assoiffée de bonheur ; elle est amoureuse de la Beauté, — maladie singulière dont la Mademoiselle de Maupin de Gautier contient une si inquiétante monographie. Déjà, par une loi étrange de notre nature, cet amour ne va pas sans une inexprimable mélancolie. Tout ce qui est souverainement beau ravit à la fois et torture, exalte et accable ; mais cet accablement est pire lorsque le contraste est trop fort entre la Beauté ainsi aimée dans la solitude du cœur et le monde visible. Et réellement notre civilisation moderne produit ce contraste au tournant de chaque rue. Sortez seulement dans Paris et considérez les

  1. Poèmes antiques.