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plus invincible que ce milieu est pénétré, comme le nôtre, d’idées contraires à celles qui gouvernent la production poétique. Le poète cependant a-t-il tort ou raison de se trouver en déséquilibre avec l’ensemble des forces inévitables qui fonctionnent autour de lui ? Autant vaudrait lui demander s’il a tort ou raison de subir une certaine manière de sentir. Il n’y a pas de sagesse qui puisse nous affranchir de la tyrannie de notre propre nature, et les résignations de cet ordre ressemblent à des suicides. Quoique M. Leconte de Lisle n’ait rien exprimé directement des malaises que la vie moderne a pu lui infliger, à plusieurs reprises il a donné des signes, évidents pour qui sait lire, d’un froissement personnel du cœur et d’une disproportion douloureuse entre son génie et sa destinée. On en trouvera la preuve dans quelques petits poèmes d’une révolte exaspérée et presque frénétique, tels que les Montreurs, la Mort d’un lion, le Vœu suprême, le Dies iræ, le sonnet À un poète mort où il est parlé de « la honte de penser » et de « l’horreur d’être un homme », et surtout dans le sonnet Aux Modernes imprécation outrageante contre notre âge de « tueurs de dieux » ;

Vous vivez lâchement, sans rêve, sans dessein,