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Et dans Si l’aurore ;

J’ai goûté peu de joie et j’ai l’âme assouvie
Des jours nouveaux non moins que des siècles anciens.
Dans le sable stérile où dorment tous les miens,
Que ne puis-je finir le songe de ma vie[1] ?


Et encore, dans le Vent froid de la nuit :

Oubliez, oubliez, vos cœurs sont consumés ;
De sang et de chaleur vos artères sont vides.
Ô morts, morts bienheureux, en proie aux vers arides,
Souvenez-vous plutôt de la vie, et dormez.

Ah ! dans vos lits profonds quand je pourrai descendre,
Comme un forçat vieilli qui voit tomber ses fers,
Que j’aimerai sentir, libre des maux soufferts.
Ce qui fut moi rentrer dans la commune cendre[2] !


Mais, à cette fureur d’accent, d’autres blessures se devinent. Celles des idées sont bien profondes ; elles n’ont pas cette âcreté lorsqu’aucun poison ne les envenime. Il n’est pas malaisé de comprendre quelles causes de pessimisme M. Leconte de Lisle a dû subir, en dehors de celles que nous venons d’analyser. Si enveloppée qu’elle soit dans une atmosphère d’idées, l’âme poétique ne saurait éviter tout contact avec le monde social qui l’environne, et ce contact a bien des

  1. Poèmes tragiques.
  2. Poèmes barbares.