Au fond des masses d’eau lourdes d’une ombre épaisse
Il laisse errer un œil terne, impassible et lent[1].
Il a connu la mélancolie de l’animal, germe
douloureux de la grande tristesse humaine
devant l’abîme de l’inconnaissable, et compati au
sanglot des chiens, près de la mer, dans la
nuit :
Devant la lune errante aux livides clartés,
Quelle angoisse inconnue, au bord des noires ondes,
Faisait pleurer une âme en vos formes immondes ?
Pourquoi gémissiez-vous, spectres épouvantés[2] ?
Aperçue sous cet angle, la nature se révèle en
une tragique magnificence. Ce n’est plus tel ou
tel être que nous contemplons, c’est l’esprit
infini dont toute forme est la forme, dont toute
pensée est la pensée, et qui s’efforce à travers les
violences de la vie brutale comme parmi les
raffinements de la vie civilisée. Et nous qui
souffrons de ces raffinements et de cette civilisation,
ce nous est une étrange ivresse que de nous
plonger, ne fût-ce qu’un instant, au jaillissement
primitif de cette source d’universelle activité.