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née l’héritage des siècles. Ne dites pas que c’est là un artifice de rhétorique, car le poète subit l’entraînement fatal de sa sorte d’imagination, et, si vous voulez suivre celui-ci à travers ses poèmes d’évocation pieuse, vous trouverez qu’à chacun des avatars auxquels il s’est ainsi complu correspond quelque nécessité intérieure qui lui est commune avec bien des songeurs de ce temps. Mais chacun choisit l’opium qui lui est propre ; la grande affaire de la critique est seulement de comprendre le fond commun qui relie les visions de tous les hommes d’une génération les unes aux autres.

C’est la presqu’île de l’Inde et ses dévotions mystérieuses qui ont tenté d’abord la rêverie du poète. La formule de ces dévotions se trouve dans beaucoup de livres savants ; mais ce qui ne s’y rencontre pas, c’est la sensation physique et comme palpable du paysage grandiose de cette terre. M. Leconte de Lisle fait surgir devant ses yeux ces horizons lointains, avec quelle intensité — les débuts de Bhagavat et de Çunacépa[1] suffisent à l’attester :

Le grand fleuve, à travers les bois aux mille plantes,

  1. Poèmes antiques