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individus et chez les peuples. Les partisans de l’union de la science et de la poésie s’appuient sur cette thèse indiscutable : que tous les efforts de l’imagination ne sauraient égaler la splendeur de l’univers réel. Et quelle fantaisie en effet aurait jamais rêvé les magnificences que l’astronomie précise a découvertes dans le firmament ? Les adversaires de cette union invoquent l’expérience, argument souverain en esthétique comme en politique : et il est bien certain que jusqu’ici tous les poèmes fondés sur la science, depuis le De naturâ rerum jusqu’à la Justice, leur donnent raison, puisque les portions poétiques de ces œuvres sont celles où l’auteur a exprimé, non pas ce qu’il croyait être la vérité, mais ses émotions, ses songes, l’afflux de ses visions et de ses désirs, en un mot son âme. C’est le mouvement seul de cette âme qui fait la beauté de ces vers ; et que ce mouvement ait eu pour principe la conviction la plus erronée ou la plus correcte, qu’importe ? On peut aller plus loin et soutenir qu’une loi quelconque de la physique ou de l’astronomie ne saurait être exprimée en beaux vers, car une impression de beauté n’est pas compatible avec une impression de tour de force, et, nécessairement, il y a du tour