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tari en lui, l’imagination demeure qui lui permet de concevoir cet état sensitif s’il n’est plus capable de l’éprouver réellement. De là cette habituelle efflorescence d’images qui foisonnent sans cesse en lui, car, la machine nerveuse remuée une fois profondément, tous les ordres de sensations s’éveillent aussitôt, les comparaisons jaillissent, les associations d’idées se multiplient. Que M. Leconte de Lisle soit doué au plus haut degré de cette faculté de l’âme poétique, il suffit, pour s’en convaincre, de constater quelle vertu d’exaltation ses vers possèdent d’une part, et de l’autre comme l’image jaillit chez lui, naturelle et continue. Avec quelle ardeur et avec quelle couleur il a célébré l’héroïsme, les violentes et sublimes secousses de l’homme courageux parmi les pires dangers et devant l’approche de la mort, et l’enthousiasme des martyrs, et la fureur sacrée des grands fanatismes ! Comme il a gardé intact le sens des vastes aspects de nature et comme la forêt vierge, la mer immense, le ciel profond apparaissent aisément dans l’arrière-plan de ses poèmes ! De l’âme poétique il a encore l’adoration pure de la femme, et cette nostalgie qui faisait dire au pauvre Shelley : « J’ai aimé Antigone dans une autre vie. » Lisez seulement