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la sensibilité que lui a façonnée son temps ? La preuve en est que ceux de ses contemporains qui lui ressemblent trouvent en lui de quoi satisfaire leur appétit de certaines sensations. N’hésitons pas à briser les étroites barrières des écoles et à reconnaître que le second de ces deux écrivains est aussi moderne que le premier. La seule différence consiste en ce qu’il l’est autrement ; mais y a-t-il deux feuilles qui se ressemblent dans une forêt ? Et pourquoi les talents seraient-ils semblables dans cette vaste végétation qui est la littérature d’un même âge ?

Si les réflexions qui précèdent sont exactes, l’objection d’archaïsme et d’artifice dirigée contre l’auteur des Poèmes antiques par ses adversaires, à cause du choix de ses sujets, n’a pas de valeur. Elle serait forte, s’il était démontré que M. Leconte de Lisle n’est pas arrivé à ce choix de sujets par une nécessité de sa nature. Mais une lecture, même légère, de ses œuvres permet de reconnaître que son genre d’imagination le conduisait inévitablement vers le pays du songe religieux et cosmogonique. Aucune intelligence n’est plus nettement caractérisée que la sienne par le goût et le pouvoir des larges conceptions d’ensemble. Ce qui le frappe dans l’humanité,