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l’étalage de ces marchandises devant ce comptoir, comme la poussée de ces voitures dans ce tournant de rue. La preuve en est que ce passant qui court à ses affaires s’arrête à lire ce morceau de journal, à discuter avec son compagnon sur un point de politique. Ce Parisien a une théorie de la religion et une théorie de la nature, une théorie de l’état et une théorie du devoir, — obscure doctrine, humble reflet déformé dans ce misérable miroir des grands feux d’artifices intellectuels qui se tirent là-haut, parmi les philosophes, les écrivains et les savants. N’importe ; une profonde unité rattache les généralisations maladroites et rudimentaires des illettrés aux spéculations des maîtres. Il suit de là que, si l’écrivain entreprend de reproduire la société par les idées, il sera aussi vrai que celui qui entreprend de la peindre par les mœurs. Il peut à son gré choisir le décor dans lequel il évoquera ces idées. Si le symbolisme antique est le plus capable de se prêter à cette évocation, n’est-il pas, en l’employant, aussi nouveau, aussi contemporain que le plus scrupuleux nomenclateur d’un quartier de Paris ? C’est ainsi que la Colère de Samson d’Alfred de Vigny, qui emprunte son mythe à la Bible, est moderne au même degré que le Nabab ou que