Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/90

Cette page n’a pas encore été corrigée

le centre était dressée une longue table, garnie de fleurs, chargée de fruits, étincelante de cristaux et d’argenterie. Auprès de chaque assiette, rayonnait une espèce de globe rose encadré de verdure, à l’intérieur duquel brûlait une invisible bougie, — nouveauté anglaise qui fut saluée de légères et gaies acclamations par les convives, lesquels se placèrent ensuite au hasard de leurs convenances réciproques. René, qui, par timidité, s’était trouvé monter seul et parmi les derniers, s’assit de la sorte à une chaise vide entre le vicomte de Brèves et la jeune femme blonde en robe rouge, rencontrée dans l’antichambre, celle dont Claude Larcher lui avait dit qu’elle s’appelait madame Moraines et qu’elle était la fille du célèbre Bois-Dauffin, l’un des ministres les plus impopulaires de Napoléon III. Ainsi perdu dans ce coin de table, tandis que les conversations commençaient entre madame Moraines d’une part et son voisin de droite, entre le vicomte de Brèves de l’autre et sa voisine, René put enfin se ressaisir pendant quelques minutes et considérer les convives, derrière lesquels allaient et venaient les domestiques, portant les plats, versant les vins… Son regard passait de Colette, qui flirtait en riant avec Salvaney, à madame Komof, sans doute en train de raconter quelque nouvelle histoire d’expérience spirite ; car ses yeux avaient