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ou un : « Exquis ! … » et René se souvenait des nuits de travail, une trentaine, consacrées à prendre et à reprendre tel ou tel de ces morceaux, cette élégie par exemple, écrite par Lorenzo sur un billet, — billet qu’à un moment Cœlia montrait à Béatrice. Comme la voix de Colette se faisait tendre et moqueuse pour réciter ces vers :

Si les roses pouvaient nous rendre le baiser
Que notre bouche vient sur leur bouche poser ;
Si les lilas pouvaient, et les grands lis, comprendre
La tristesse dont nous remplit leur parfum tendre ;
Si l’immobile ciel et la mouvante mer
Pouvaient sentir combien leur charme nous est cher ;
Si tout ce que l’on aime, en cette vie étrange,
Pouvait donner une âme à notre âme en échange ! …
Mais le ciel, mais la mer, mais les frêles lilas,
Mais les roses, et toi, chère, vous n’aimez pas…

Et l’hallucination rétrospective redoublait encore, rappelant à René sa chambre paisible, et comme il ressentait une joie intime à se lever chaque matin, pour reprendre la besogne interrompue. Sur le conseil de Claude, et poussé d’ailleurs par l’enfantine imitation des procédés des grands hommes, — trait risible et délicieux des vraies jeunesses littéraires, — il avait adopté la méthode pratiquée autrefois par Balzac. Couché avant huit heures du soir, il se levait avant quatre heures du matin. Il allumait