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brouille du lendemain. L’homme et la femme se donnent alors sans réserve. Il semble que la longue suite des plaisirs, jadis goûtés en commun, ait comme façonné leurs corps l’un pour l’autre, et auprès de ces renouveaux de possession ardente, presque frénétique, toute autre volupté perd sa saveur. Claude réfléchissait à cette loi singulière des habitudes amoureuses, en achevant un cigare dont la vapeur s’azurait au gai soleil. Il regardait les voitures se croiser dans la rue, et, sous les feuillages légers du jardin, le défilé des promeneurs. Il s’étonnait lui-même de la parfaite béatitude où ces quelques jours d’assouvissement l’avaient plongé. Ses jalousies douloureuses, ses trop légitimes fureurs, le juste sentiment de sa dégradation, tout s’abolissait parce que Colette avait fait ses volontés et consigné à la porte Aline aussi bien que Salvaney. Cela ne durerait pas, il le savait trop ; mais la présence de cette femme lui procurait une félicité si entière qu’elle détruisait ses craintes pour l’avenir, comme ses rancunes pour le passé. Il fumait son cigare avec une lenteur paisible, et par instant il se retournait pour la voir, elle, à travers la fenêtre ouverte, qui, vêtue d’une robe chinoise toute rose et brodée de fleurs d’or, — la sœur de celle de la loge, — se balançait sur un fauteuil canné à bascule. Au