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innombrables scènes, malgré cette abjection de son intrigue avec Desforges, elle l’avait vraiment, elle l’avait passionnément aimé. Sans la sincérité de cet amour, leur histoire commune était-elle intelligible une minute ? Quel autre mobile avait pu la jeter à lui ? Ce n’était pas l’intérêt ? René était si pauvre, si humble, si au-dessous d’elle. Ni la gloriole de séduire un auteur à la mode ? Elle-même avait exigé que leur liaison demeurât secrète. Ni la coquetterie ? Elle ne l’avait pris à aucune rivale, elle ne s’était pas disputée, jour par jour, semaine par semaine. Oui, si monstrueux que fût cet amour, mélangé à cette corruption, à cette fourberie, elle l’avait aimé, elle l’aimait encore. Cette âme, dont la lèpre morale l’avait consterné d’horreur, demeurait pourtant capable d’une sincérité. Quelque chose s’agitait en elle, qui valait mieux que sa vie, mieux que ses actions. René consentait enfin à écouter la voix qui plaidait pour sa maîtresse, et il regardait bien en face cette vénalité dont la découverte l’avait terrassé. Son entrée à l’hôtel Komof, et ses premières impressions puériles d’aristocratie, la possession de Suzanne et la grâce des moindres détails de sa parure, en lui révélant le décor du grand luxe et sa minutie raffinée, l’avaient initié à bien des mystères. Le mirage de haute vie évoqué par ses premiers rêves naïfs