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Elle pleurait, la tête sur l’épaule de l’excellent homme, qui ne savait plus s’il devait maudire ou bénir son beau-frère, tant il était à la fois désespéré de la douleur de sa femme et touché du mouvement qui l’avait précipitée vers lui :

— « Voyons, » disait-il, « sois raisonnable. Raconte-moi ce qu’il y a eu entre vous. »

— « Il n’a pas de cœur, il n’a pas de cœur, » fut la seule réponse qu’il put obtenir.

— « Mais si ! mais si ! … » répondait-il, et il ajouta cette parole profonde, avec la lucidité que les sentiments vrais donnent aux moins perspicaces : « Il sait trop combien tu l’aimes, voilà tout, et il en abuse… »

Tandis que Fresneau consolait Émilie de son mieux, sans lui arracher pourtant le secret de sa discussion avec le poète, ce dernier marchait à travers les rues, en proie à une nouvelle attaque du chagrin qui, depuis la veille, lui dévorait l’âme. Suzanne avait eu raison de penser qu’une voix plaiderait en lui contre ce qu’il savait, contre ce qu’il avait vu. Qui donc a pu aimer et être trahi, sans l’entendre, cette voix qui raisonne contre toute raison, qui nous dit d’espérer contre toute espérance ? C’en est fini de croire et pour toujours. Comme on voudrait douter au moins ! Comme on regrette, à l’égal d’une époque heureuse, les jours, si cruels pourtant, où l’on n’en