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— « Il a l’air fâché ? … » interrogea le professeur.

— « Fâché ? … » répondit Émilie. « Ce sera sans doute quelque idée pour son drame qui lui sera venue à l’esprit, et qu’il aura voulu noter tout de suite… Mais c’est si mauvais de travailler aussitôt après le dîner… Je vais le lui dire… »

Tout heureuse d’avoir imaginé ce prétexte, la jeune femme passa, elle aussi, dans la chambre de son frère. Elle le trouva qui commençait de griffonner une réponse au billet de Suzanne, sans même attendre la lumière, dans le crépuscule. Il comptait sans aucun doute sur cette venue de sa sœur, car il lui dit brusquement, et d’une voix où grondait sa sourde colère :

— « Te voilà ! … Il est venu quelqu’un me voir aujourd’hui à qui tu as refusé la porte, en racontant que j’étais en voyage ? … »

— « René, » dit Émilie en joignant les mains, « pardonne-moi, j’ai cru bien faire… C’est vrai, dans l’état où je te voyais, j’ai eu peur pour toi de la présence de cette femme. » Et, trouvant dans l’ardeur de sa tendresse la force de dire toute sa pensée : « Cette femme, » répéta-t-elle, « c’est ton mauvais génie… »

— « Il paraît, » reprit le poète avec une rage concentrée, « que tu me prends toujours pour un enfant de quinze ans… Oui ou non ? suis-je