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qui comptait, parmi ses bons jours, ceux où elle dînait dans deux ou trois maisons juives, princièrement hospitalières, mais elle avait pensé que cette phrase compléterait bien la nuance de religiosité qu’elle voulait se donner au regard du jeune homme… « Vous trouverez mon mari un peu froid au premier abord, » continua-t-elle, « mon rêve était d’avoir un salon d’écrivains et d’artistes… Mais vous savez, ces messieurs sont un peu jaloux de vous tous, et puis M. Moraines n’aime guère le monde. Il n’était pas là l’autre soir. Il ne se plaît que dans la plus stricte intimité, parmi des visages connus… »

Elle parlait ainsi, avec un air de contrainte qui semblait dire à René : « Pardonnez-moi si je ne peux vous prier chez moi comme je voudrais… » Il signifiait aussi, cet air de contrainte, que la gracieuse femme avait dû— oh ! sans se plaindre ! — être sacrifiée, dans son mariage, à ces froides considérations sociales qui ne tiennent aucun compte du sentiment. Déjà, dans l’imagination de René, l’aimable, le jovial Paul Moraines se dessinait comme un mari quinteux et difficile à vivre, auquel cette créature de race supérieure était liée par la chaîne meurtrissante du devoir. Il éprouva pour elle, par-dessus la passion qui le possédait, un de ces mouvements de pitié que les femmes aiment d’autant plus à