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On aurait fait venir les témoins nécessaires pour s’assurer des faits compromettants pour le Clergé, et l’on aurait établi, d’après des données certaines, la culpabilité des accusés.

D’un autre côté, les accusés auraient été confrontés avec leurs accusateurs, et auraient eu toute liberté de se justifier, s’ils ne se trouvaient pas coupables. Ils auraient pu démontrer qu’en agissant comme ils ont fait dans les élections, ils n’avaient fait que défendre les droits du Clergé et les principes enseignés par l’Église ; qu’en s’opposant à l’élection de certains candidats, ils n’avaient fait que remplir un devoir de religion, parce qu’ils avaient l’intime conviction qu’ils étaient hostiles à l’Église.

Par une telle enquête, les bons prêtres auraient été justifiés, et ceux qui auraient manqué à leur devoir auraient été punis. Il en serait de même des accusateurs, qui auraient eu gain de cause, si leurs représentations eussent été justes, et qui se seraient trouvés dans la confusion, dans le cas où leurs accusations n’auraient pu être soutenues.

Maintenant, l’on comprend toutes les conséquences funestes qui résulteraient pour l’Église et la société civile, si les Prêtres qui remplissent bien leur devoir au jugement de leur Évêque, en observant exactement les règles de conduite qui leur ont été tracées, pouvaient être mal représentés par les premiers venus et empêchés de suivre des règles qui leur auraient été tracées par leurs Ordinaires respectifs.

Enfin, dans cette enquête des Évêques, faite par l’ordre du Saint-Siège, l’on n’aurait pas manqué de constater si en effet il y a eu de graves désordres pendant les élections, et par qui ils ont été commis. Mais si l’on acquérait la pleine conviction que ces désordres ont presque toujours été occasionnés par ceux qui sont hostiles à la religion ; et que le Clergé, loin de les fomenter, s’y est fortement opposé et les a réprimés en grande partie, l’on n’aurait certainement pas raison de s’élever contre lui. S’il y avait eu quelque part infraction aux règles, ce n’aurait pu être que dans des cas particuliers, et il serait très-possible d’y apporter remède, sans en venir à une démarche compromettante pour plusieurs Évêques et des centaines de Prêtres.

2o L’intervention du Clergé, ajoute Son Éminence, dans les élections politiques, fera nécessairement rejaillir sur l’Église du Canada les conséquences les plus funestes.

Cela serait vrai, si cette intervention se faisait d’une manière irrégulière et contraire aux règles tracées au Clergé par les décrets des Conciles provinciaux, sanctionnés par le St. Siège et par les Lettres collectives et particulières de l’Archevêque et des Évêques de la province.

Mais c’est tout le contraire, quand cette intervention est bien réglée. Car il est visible et bien constaté que, lorsque le Clergé y intervient, les élections sont moins tumultueuses ; qu’il y règne par conséquent plus de paix et de bonne entente ; qu’il s’y commet moins d’excès d’ivrognerie et d’intempérance ; que le serment y est plus respecté et moins profané ; que la corruption, en vendant et achetant les suffrages, y est plus rare ; que les électeurs, étant plus instruits, choisissent des candidats plus dignes et plus capables, ce qui réduit à un plus petit nombre les candidats libéraux qui, comme il a été dit plus haut, ne sont pas dignes d’avoir les suffrages des électeurs catholiques. Mais ils seraient certains de les obtenir, s’ils pouvaient empêcher les prêtres de s’occuper des élections, comme ils ont pu s’en occuper jusqu’ici. Car tout le monde comprend qu’il est facile de tromper le peuple, quand il n’y a personne pour lui bien expliquer les questions dont il lui faut s’occuper.