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C’est alors que les élections qui, déjà, malgré toutes les précautions prises pour les bien régler, sont une cause malheureuse de crimes et d’excès, finiront par démoraliser complètement le bon peuple du Canada. Ce sera alors aussi que le libéralisme qui, aujourd’hui, bouleverse de fond en comble les sociétés européennes, bouleversera de même les jeunes sociétés du Canada.

Un simple coup d’œil, sur ces fâcheux résultats, qui sont inévitables, mène à cette conclusion que l’Archevêque n’a pas mesuré la portée de l’acte qu’il a fait, en brisant avec ses suffragants qui tiennent à ne pas modifier, comme l’aurait voulu leur Métropolitain, leur Lettre Collective du 22 Septembre 1875.

La S. Congrégation peut maintenant juger, d’après ces faits, si Mgr l’Archevêque, dans les pénibles circonstances où il se trouve, pourra, par sa prudence et sagesse, remplir, avec bonheur et succès, la commission dont l’a chargé Son Éminence le Cardinal Préfet. Les renseignements qu’il a à donner à cette Sainte Congrégation, sur cette déplorable affaire, seront-ils acceptés, comme vrais, si l’on constate le contraire par tout ce qui se passe ici ? Les suggestions qu’il va faire, pour concilier les esprits, seront-elles acceptées avec respect, lorsque l’on ne pourra se dissimuler qu’elles favorisent le libéralisme ? L’excitation des esprits, loin de se calmer, ne deviendra-t-elle pas plus ardente, lorsque l’on constatera ici les moyens indignes, qui auront été pris ici, pour tromper et surprendre la Propagande ?

5o Du reste, dit encore Son Éminence, il est conforme à la nature du ministère ecclésiastique, lorsque l’on est obligé d’intervenir dans les affaires politiques, de le faire avec une telle modération que, tout en laissant au Clergé la liberté d’action qui peut lui appartenir, pour la défense de la religion et le bien être social, on ne se fasse pas un instrument aveugle des partis.

Ces règles sont assurément très-sages. Aussi, peut-on certifier, en toute vérité, que les Évêques ne cessent d’en recommander la pratique ; et que les prêtres se font en général un devoir de s’y conformer avec fidélité. Maintenant donc, en suivant ces règles, les élections se font d’une manière plus calme et plus régulière.

Mais il est à bien remarquer que certains citoyens, en se portant pour candidats, vont déclarer qu’ils appartiennent à des partis hostiles à la religion, tout en protestant de leur attachement à cette sainte religion ; ou bien on les jugera tels par leurs antécédents. Les électeurs à qui l’on enseigne qu’ils sont dans l’obligation de n’élire que des hommes disposés à servir la religion, seront alors par là même avertis qu’ils ne pourront donner leurs suffrages à de tels candidats, comme étant hostiles à la religion, à ses libertés, et à ses ministres.

Or, c’est là ce qui les irritera et les portera à crier bien haut que les prêtres n’ont point à se mêler d’élections ; que toute leur affaire est de se tenir au Confessionnal ou à la sacristie.

Pour les empêcher de crier contre la religion, le pape, l’évêque et les prêtres, il faudrait cesser de dire quoique ce soit des élections et des devoirs qu’ont à remplir là-dessus les candidats et les électeurs. Or, il est impossible, sans renoncer au devoir imposé aux pasteurs d’enseigner les préceptes de la morale chrétienne, de se résigner à un tel silence.

L’on s’acquitte de ce devoir, dans cette province, comme on l’a vu plus haut, en se conformant aux règles tracées par les décrets des Conciles et les instructions des Évêques ; et l’on obtient ainsi très-certainement d’heureux résultats. La conclusion à tirer, c’est qu’il faut tout simplement laisser crier ceux qui n’ont pas de justes raisons de crier et qui ne crient si haut