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homme s’était jeté devant l’attelage. Accroché d’une main au mors du cheval de droite, il se laissait traîner sans lâcher prise, déchirant la bouche de la bête d’un tel effort que celle-ci se prit à se débattre au lieu de continuer ce galop fou. L’autre cheval, sous l’à-coup de ce brusque arrêt de l’élan, avait glissé à terre. Il se roulait dans ses traits et donnait des coups de pied furieux à tout défoncer. Qu’importait ! la voiture était arrêtée et la petite fille sauvée. Quelques minutes plus tard, le héros de ce sauvetage, qui n’était autre que le commandant Brissonnet, était ramassé entre les deux bêtes, ayant reçu un de ces coups de pied qui lui avait brisé le bras. Son visage était en sang. Un des boucleteaux des harnais lui avait déchiré le front. Et la mère de celle dont il avait préservé la vie au péril de la sienne était là, anxieuse, remerciant Dieu dans son cœur que son enfant eût été arrachée à une mort presque certaine, et le suppliant qu’il ne laissât pas mourir non plus cet homme à qui elle rêvait de donner un jour le nom de frère. – Cette anxiété, l’ardeur de cette prière, sa joie, quand le médecin du village, appelé à la hâte, eut diagnostiqué une simple fracture et quelques contusions, tout aurait dû achever de l’avertir qu’un sentiment bien différent de celui d’une future belle-sœur s’agitait en elle. Elle aurait dû lire du moins la vérité du sentiment qu’elle inspirait déjà dans le regard