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de cet air si pur, de ces bois si frais, causait beaucoup, tantôt avec sa fille toute rose et gaie, tantôt avec Favelles. Le Vieux Beau, qui avait envoyé d’avance un domestique, – un valet de chambre stylé par lui quinze ans durant ! – préparer un goûter dans une des auberges de la route, jouissait de cette promenade avec une naïveté de collégien en vacances. N’en était-il pas l’organisateur ? Son contentement se manifestait par une prodigalité de souvenirs. On sait que telle était sa manie. Et les anecdotes succédaient aux anecdotes.

Il contait les originales fantaisies des grands élégants de sa jeunesse : les duels de ce fou de Machault qui, un jour, s’était battu avec un de ses camarades de club, sur deux billards réunis, pour qu’il fût impossible de rompre. Il disait le noctambulisme du plus Parisien des Russes, à l’époque de la Belle-Hélène, Serge Werekiew, qui se levait à l’heure du dîner, arrivait vers dix heures chez Bignon ; là il se faisait apporter une soupière d’argent où il lavait lui-même ses couverts, mangeait un énorme repas, le seul des vingt-quatre heures, puis il montait au Jockey, où il jouait au whist jusqu’au matin. Il rappelait… Mais à quoi bon remémorer des anecdotes dont le piquant était, débitées ainsi, par le falot personnage, de contraster fantastiquement avec ce cadre de montagnes et de forêts ? Elles avaient encore, pour Madeleine et Brissonnet, ce charme d’être si