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l’époque, c’était pour éclairer ces messieurs du Comité. Quant à moi, je n’y ai jamais vu qu’une des épreuves naturelles de mon métier de soldat. Si ce métier ne consistait qu’à se faire tuer, il serait à la portée de tous. S’il ne consistait qu’à conquérir des territoires nouveaux et à défendre les anciens, il serait si tentant qu’aucun cœur un peu généreux n’en voudrait d’autre. Il a des exigences plus sévères, plus âpres, et dont on ne comprend la poésie qu’à l’user, si l’on peut dire. Elle réside dans la pratique quotidienne et systématique du sacrifice. Un sacrifié volontaire, le soldat doit être cela, ou il n’est rien Quand le sacrifice a pour théâtre le champ de bataille d’Austerlitz ou de Waterloo, c’est une chance. Quand le sacrifice exige que nous allions, déguisés, en terre ennemie, pour faire de l’espionnage et risquer notre vie obscurément, j’allais dire ignoblement, c’est une grande épreuve. Quel est le soldat qui hésite pourtant ? C’est un sacrifice encore que de subir l’injustice d’un ministre et de rester dans l’armée… Je ne juge personne, mais, pour ma part, chaque fois que l’on m’en a trop fait et que j’ai eu la tentation de reprendre ma liberté, j’ai entendu la voix intérieure me rappeler que j’étais soldat pour me dévouer… Un médecin qui a eu à se plaindre d’un malade, qui a été calomnié par lui, refusera-t-il de le soigner s’il sait le malade en danger ?… »

Il s’était retourné vers Mme Liébaut pour prononcer ces