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depuis ces quelques années, avait avivé et comme mis à vif la sensibilité du soldat au lieu de l’endurcir. C’est l’histoire ordinaire des hommes d’entreprise et de danger : à trop subir et de trop dures choses, s’ils ne perdent pas toute faculté d’aimer, ils deviennent presque morbidement émotifs. Cette anomalie apparente n’est que logique : les âmes très fortes vont naturellement à l’extrême de leurs qualités et de leurs défauts. Sont-elles nées avec des tendances à l’égoïsme ? Elles ont bientôt fait de les outrer, d’abolir en elles tous les éléments qui s’opposeraient au développement implacable de leur personnalité. Ont-elles reçu, au contraire, avec la vie, cet instinct de dévouement, cet appétit des impressions tendres qui est comme un sens à part, – aussi inintelligible à ceux qui ne le possèdent pas que peut l’être la lumière à un aveugle ou le son de la voix à un sourd ? – la destinée peut les jeter dans les chemins les plus contraires à leurs dispositions primitives, il suffit d’un incident, et le Roméo qui a trop souvent passé l’âge d’être aimé, un Don Quichotte dont la Dulcinée n’a pas attendu son chevalier. Le premier cas n’était pas celui du commandant Brissonnet. Les terribles fatigues de ses campagnes d’Afrique ne lui avaient pas plus enlevé la jeunesse du visage que celle du cœur. L ‘autre cas n’était pas celui de Mme Liébaut. La